Le constructeur automobile japonais Nissan traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire. En annonçant une perte nette de 670 milliards de yens (environ 4,5 milliards de dollars) pour l’exercice fiscal clos en mars 2025, le groupe dévoile l’ampleur de la crise qu’il affronte en annonçant la suppression de 10 000 postes supplémentaires dans le monde, venant s’ajouter aux 9 000 départs déjà annoncés en novembre 2024. En tout, ce sont donc 19 000 emplois qui vont disparaître, soit près de 15% des effectifs globaux du groupe, qui comptait encore 133 000 salariés en mars 2024.
Une restructuration massive engagée sous l'impulsion du nouveau PDG Ivan Espinosa
Cette coupe massive s'inscrit dans une stratégie de restructuration radicale engagée par Ivan Espinosa, nommé PDG en avril 2025. Dès sa prise de fonctions, il avait prévenu que des mesures supplémentaires seraient prises pour remettre Nissan sur les rails, évoquant une entreprise « trop grosse pour ses revenus actuels ».
La première vague de 9 000 suppressions visait déjà des zones en difficulté, notamment certaines unités en Amérique latine, en Europe et en Asie. Avec cette deuxième vague de 10 000 emplois, l’effort devient global, touchant même les sites historiques de Nissan au Japon, bien que l’entreprise n’ait pas encore détaillé la répartition géographique des licenciements.
Ce mouvement rappelle les grandes purges industrielles du début des années 2000. Il évoque notamment le plan de redressement lancé par Carlos Ghosn en 1999, qui avait abouti à la suppression de 21 000 postes et à la fermeture de plusieurs usines, sauvant alors Nissan de la faillite. Aujourd’hui, dans un contexte différent mais tout aussi critique, la direction espère une nouvelle fois rebâtir sur des bases plus solides.
Parmi les décisions prises :
- Fermeture de 7 usines sur les 17 que compte le groupe dans le monde
- Regroupement des activités en Thaïlande
- Transfert de la production de l’Argentine vers le Brésil
- Réduction de 20% des capacités de production mondiales
Des pertes historiques et un marché en repli
En un an, le résultat net de Nissan est passé d’un bénéfice de 426,6 milliards de yens à une perte de 670 milliards de yens. En parallèle, le résultat opérationnel a chuté de 88%, à seulement 69,8 milliards de yens. Nissan n’a versé aucun dividende pour la deuxième année consécutive.
Le constructeur impute ces résultats catastrophiques à plusieurs facteurs :
- Un effondrement des ventes sur ses marchés clés : les États-Unis et la Chine
- Des charges de dépréciation d’actifs à hauteur de 3,1 milliards d’euros
- Des coûts de restructuration estimés à 60 milliards de yens (environ 370 millions d’euros)
Une pression financière et boursière croissante
Sur les 12 derniers mois, l'action Nissan a perdu 40% de sa valeur. Les agences de notation comme Moody’s ont rétrogradé la dette du groupe en catégorie spéculative, invoquant :
- Une faible rentabilité
- Une gamme de modèles vieillissante
- Des perspectives de croissance dégradées
Face à un endettement important, le constructeur a dû abandonner plusieurs projets, dont une usine de batteries d’un milliard de dollars dans le sud du Japon.
L’effet des surtaxes américaines
L’administration américaine a instauré depuis avril 2025 une surtaxe de 25% sur les véhicules importés, une décision qui touche de plein fouet Nissan. Le marché américain représente 30% des ventes mondiales du groupe (soit environ 924 000 véhicules par an), dont près de la moitié sont produits au Japon et au Mexique.
Nissan estime que les nouvelles politiques tarifaires pourraient avoir un impact négatif de 450 milliards de yens sur l’exercice en cours. En raison de la sensibilité prix de sa clientèle, la marque ne peut pas répercuter facilement ces hausses sur le prix final de ses véhicules, au risque de voir ses ventes chuter davantage.
La Chine, entre menace concurrentielle et espoir de rebond
En Chine, Nissan a vu ses ventes chuter de 27% au premier trimestre 2025, concurrencé par des marques locales plus agiles et mieux positionnées sur l’électrique. Pourtant, le groupe continue d’y investir, annonçant un plan de 1,4 milliard de dollars d’ici 2026 pour rattraper son retard dans les véhicules électriques.
« Abandonner la Chine est impensable pour les constructeurs japonais », souligne Tatsuo Yoshida, analyste chez Bloomberg Intelligence. « C’est un marché à moyen et long terme irremplaçable. »
Une fusion avortée avec Honda
La situation de Nissan est d’autant plus tendue que la marque a vu s’effondrer une opportunité stratégique majeure : son rapprochement avec Honda. Le 23 décembre 2024, les PDG de Nissan et Honda, respectivement Makoto Uchida et Toshihiro Mibe, avaient pourtant signé un accord de principe prévoyant la création d’une holding conjointe d’ici 2026 pour regrouper leurs activités. L’objectif étant notamment de mutualiser les investissements dans les véhicules électriques et la conduite autonome et de créer un ensemble capable de rivaliser avec les géants mondiaux du secteur.
Le projet de fusion, auquel Mitsubishi Motors aurait pu également être associé, aurait donné naissance au 3e constructeur automobile mondial. Mais il a rapidement achoppé sur des désaccords profonds liés aux valorisations respectives des deux groupes et aux équilibres de gouvernance. Dès février 2025, les discussions étaient rompues, enterrant les espoirs d’un groupe japonais unifié et mieux armé face à la transition électrique et aux rivalités internationales.
Cette débâcle a précipité la chute de Makoto Uchida, remplacé quelques semaines plus tard par Ivan Espinosa. Ce dernier a choisi une ligne plus radicale : abandon du projet de fusion, recentrage sur les activités rentables, rationalisation des coûts et restructuration d’ampleur mondiale.
Quelles perspectives pour Nissan ?
Le redressement de Nissan ne sera ni rapide, ni garanti. Selon les prévisions d’analystes, le groupe pourrait réduire sa perte nette à 40,4 milliards de yens (246 millions d’euros) pour l’exercice 2025-2026, mais rester dans le rouge.
Plusieurs options sont à l’étude :
- Recherche de nouveaux partenariats, notamment avec Foxconn, Mitsubishi, voire de nouveau Honda, malgré l’échec d’un projet de fusion récent
- Simplification de la chaîne d’approvisionnement et réduction du nombre de pièces utilisées dans les modèles
- Optimisation des capacités industrielles, avec un objectif de réduction de 500 milliards de yens de coûts fixes d’ici 2027
Le plan de redressement d’Ivan Espinosa s’annonce aussi audacieux que périlleux. Nissan semble jouer sa survie sur les prochaines années. Le succès de sa transformation dépendra de sa capacité à réduire ses coûts sans sacrifier la qualité, nouer des alliances pertinentes avec d'autres constructeurs et réussir son virage vers les véhicules électriques.