À compter du 1er mai 2025, l’exonération de taxe régionale sur la carte grise prendra fin pour les véhicules 100% électriques. Un signal fort, au moment où d'autres piliers de la transition écologique sont remis en cause.
Retour sur la gratuité de la carte grise : une mesure incitative à l’origine
Depuis 2017, les véhicules électriques bénéficient d’une exonération totale ou partielle de la taxe régionale sur le certificat d’immatriculation – plus communément appelé carte grise. Cette mesure visait à encourager la transition vers une mobilité plus propre, dans un contexte d’urgence climatique et de dépendance énergétique persistante.
L’instauration de cette gratuité s’inscrivait dans un ensemble d’aides publiques, comprenant notamment le bonus écologique et la prime à la conversion. L’objectif était clair : faciliter l’adoption des véhicules zéro émission en réduisant les barrières économiques à l’entrée.
Les effets ont été notables. Alors que les voitures électriques ne représentaient qu’un peu plus de 1% des immatriculations en 2017, leur part a dépassé les 18% en 2024, selon les données de la Plateforme automobile française (PFA).
Une bascule prévue au 1er mai 2025
Selon une enquête d’Auto Plus dévoilée par RTL, la gratuité de la carte grise prendra fin le 1er mai 2025 dans l’ensemble des régions françaises, à l’exception notable des Hauts-de-France. Le coût attendu variera entre 150 et 750 euros, selon le type de véhicule.
Officiellement, cette décision s’explique par la volonté des régions de reconstituer leurs budgets, dans un contexte budgétaire tendu. Officieusement, elle traduit aussi un recentrage politique sur des priorités budgétaires plus immédiates, parfois au détriment de la transition énergétique.
Cette mesure arrive à un moment charnière, où l’intérêt des particuliers pour les véhicules électriques semble ralentir. Pour les consommateurs déjà sensibles aux hausses de prix, ce nouvel obstacle, bien que marginal sur le coût global du véhicule, pourrait renforcer les hésitations.
Une mesure qui marque un changement de cap dans la politique française
Des aides de moins en moins efficaces
L’exonération de la carte grise s’inscrivait dans un cadre plus large d’aides à l’achat de véhicules propres : bonus écologique, prime à la conversion, TVA réduite pour les flottes vertes… Ces mesures ont favorisé un décollage massif des ventes de véhicules électriques, qui représentaient 16,2% des immatriculations en 2023 selon l'Avere-France.
Mais aujourd’hui, leur efficacité semble s’émousser :
- Le coût des véhicules neufs reste élevé malgré les bonus ;
- Les bornes de recharge manquent encore, surtout en zone rurale ;
- Les consommateurs hésitent de plus en plus, notamment en raison du coût de l’énergie.
Un contexte budgétaire sous tension
La suppression de cette aide s’inscrit surtout dans un virage stratégique majeur du gouvernement français.
En avril 2025, le Premier ministre François Bayrou a annoncé que 40 milliards d’euros d’économies devront être réalisés dès 2026 sur le budget de l’État, afin de respecter les engagements européens en matière de déficit. Dans ce cadre, les aides aux véhicules électriques, jugées coûteuses et peu différenciantes, sont dans le viseur.
La carte grise gratuite, bien qu’emblématique, semble être une dépense secondaire sacrifiablem facile à supprimer sans trop de remous politiques.
Le recul des ZFE change aussi la donne
Le contexte réglementaire joue aussi contre le maintien de certaines aides. Prévues dans 43 agglomérations d’ici 2025, les Zones à Faibles Émissions (ZFE) sont en passe d’être repoussées voire annulées, face à leur impopularité croissante. Le ministère de la Transition écologique a confirmé une "flexibilisation" du calendrier, notamment pour éviter de pénaliser les classes moyennes. Or, sans ces ZFE, la pression réglementaire à basculer vers l’électrique diminue, réduisant la justification des aides à l’achat.
La baisse des prix du carburant
Autre donnée non négligeable : le recul du prix des carburants. En France, le litre de gazole est récemment passé sous la barre de 1,60 euro. Directement liée à la guerre des droits de douane initiée par les États-Unis de Donald Trump et à une demande énergétique rendue instable, cette tendance rend également les véhicules thermiques à nouveau plus attractifs pour une partie de la population.
Voir l'évolution des prix par enseigne et par département sur prix-carburants.gouv.fr.
Une Europe désorientée face à la concurrence chinoise
Alors que les États-Unis et le Canada ont fermé leurs marchés aux VE chinois par des droits de douane de 100%, l’Europe reste vulnérable.
Des véhicules chinois subventionnés
La France et l’Union européenne font face à une offensive commerciale de la Chine, qui subventionne massivement ses constructeurs (MG, BYD, Nio…). Ces derniers proposent des modèles entre 20% et 30% moins chers que leurs équivalents européens, grâce à un contrôle quasi-total de la chaîne de valeur, notamment des batteries, qui représentent jusqu’à 40% du coût d’un VE.
La riposte douanière est en cours… mais lente
L’UE a augmenté les droits de douane pour les véhicules électriques chinois à l’automne 2024, mais ces mesures prennent du temps. En attendant, le marché français est inondé de véhicules électriques low-cost, et les aides nationales profitent indirectement à des produits chinois, ce que les constructeurs français dénoncent de plus en plus ouvertement.
Vers un recentrage des aides "made in Europe" ?
C’est dans cette optique que l’État français a déjà modifié les critères du bonus écologique en 2024, en l’indexant sur l’empreinte carbone du véhicule et sa provenance. La fin de la carte grise gratuite va dans le même sens : recentrer les efforts publics sur le soutien à l’industrie nationale et européenne, plutôt qu’à la consommation aveugle.
Quels impacts pour l’avenir du véhicule électrique ?
La fin de la gratuité de la carte grise ne constitue pas un frein majeur à l’achat en soi. Les concessionnaires estiment que cela représente environ 1% du coût total d’un véhicule. Toutefois, c’est l’effet cumulatif de signaux négatifs (baisse des aides, suppression des incitations fiscales, instabilité réglementaire) qui pourrait décourager les consommateurs.
Les principaux obstacles restent inchangés :
- Le prix des véhicules électriques
- Le sentiment que le réseau de bornes de recharge reste encore insuffisamment développé hors des grands axes (carte interactive du réseau IRVE)
- Des incertitudes sur le coût et la durée de vie des batteries
- Le temps de recharge d'un véhicule électrique versus un moteur thermique ;
- Une concurrence étrangère féroce, notamment chinoise
Des choix politiques potentiellement lourds de conséquences
La France, comme l’Europe, se trouve à la croisée des chemins. L’abandon progressif des aides à l’électrique, combiné à une ouverture réglementaire aux véhicules chinois (dans un marché que ces derniers dominent déjà en matière de prix et de technologie), pourrait ralentir la dynamique engagée depuis 2017.
À l’approche de l’interdiction de la vente de véhicules thermiques en 2035, annoncée au niveau européen, la cohérence des politiques publiques sera cruciale. Faute de lisibilité, la transition risque de se transformer en stagnation.